C'est le genre de livre qui emballe les émotions et qui les soufflent en pagaille sur notre petit coeur. C'est un bouquin dont on ne sort pas indemne. Irréel.Extraits : Il a trente-huit ans, Bartleboom. Il pense que quelque part dans le monde il rencontrera un jour une femme qui est, depuis toujours,
sa femme. Parfois il se désole que le destin s'obstine à le faire attendre avec autant de ténacité et d'absence de délicatesse mais, le temps passant, il a appris à considérer la chose avec une grande sérénité. Chaque jour ou presque, depuis des années maintenant, il prend la plume et il lui écrit. Il n'a pas de nom ni d'adresse à mettre sur ces enveloppes : mais il a une vie à raconter. Et à qui, si ce n'est à elle ? Il pense que, lorsqu'ils se rencontreront, ce sera beau de poser sur ses genoux une boîte en acajou pleine de lettres et de lui dire
- Je t'attendais.
Elle ouvrira la boîte et, lentement, quand elle le voudra, elle lira les lettres, l'une après l'autre et, remontant des kilomètres de fil d'encre bleue, elle prendra alors les années - les jours, les instants - dont cet homme, avant même de la connaître, lui avait fait cadeau. Ou peut-être, plus simplement, elle retournera la boîte et, ébahie devant cette drôle de neige de lettres, elle sourira en disant à cet homme
- Tu es fou.
Et pour toujours elle l'aimera.
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"… la mer c'est la mer, c'est toujours pareil, la mer jusqu'à l'horizon, à la rigueur il passera un bateau mais se sera bien le bout du monde."
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"Que disons-nous lorsque nous disons : mer? Disons-nous le monstre immense capable de dévorer toute chose, ou cette vague qui mousse à nos pieds? L'eau qui peut tenir dans le creux de la main ou les abysses que nul ne peut voir? Disons-nous tout en un seul mot, ou masquons-nous tout sous un seul mot? Je suis là, à quelques pas de la mer, et je n'arrive pas à comprendre où elle est, elle. La mer. La mer."
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"La première chose c'est mon nom, la seconde ces yeux, la troisième une pensée, la quatrième la nuit qui vient, la cinquième ces corps déchirés, la sixième c'est la faim, la septième l'horreur, la huitième des fantasmes de la folie, la neuviéme est la chair et la dixième est un homme qui me regarde et ne me tue pas.
La dernière, c'est une voile.
Blanche. À l'horizon."
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"La mer. Elle semblait une spectatrice, silencieuse, et même complice. Elle semblait un cadre, un décor, un arrière-plan. Et maintenant je la regarde et je comprends : la mer était tout. Elle a été tout dès le premier instant, tout. Je la vois danser autour de moi, somptueuse dans sa lumière de glace, monstre infini et merveilleux. Elle était là, dans les mains qui tuaient, dans les morts qui mourraient, elle était là dans la soif et dans la faim, dans l'agonie aussi elle était là, dans la lâcheté et dans la folie, elle était la haine et le désespoir, elle était la pitié et le renoncement, elle est ce sang et cette chair, elle est cette horreur et cette splendeur. Il n'y a pas de radeau, il n'y a pas d'hommes, il n'y a pas de paroles, de sentiments, de gestes, rien. Il n'y a pas de coupables ni d'innocents, de condamnés ni de sauvés. Il y a seulement la mer. Tout n'est plus que mer. Nous, abandonnés dans la terre, nous sommes devenus le ventre de la mer, et le ventre de la mer c'est nous, et en nous elle vit et respire. Et moi je la regarde qui danse dans son manteau étincelant pour la joie des yeux à elle, invisibles, et je sais enfin que ce n'est pas la défaite d'aucun homme, mais seulement le triomphe de la mer, et sa gloire, tout ceci, et alors, alors HOSANNAH, HOSANNAH, HOSANNAH POUR ELLE, la mer immense, océan mer, plus puissante que tous les puissants, plus merveilleuses que toutes les merveilles, HOSANNAH ET GLOIRE À ELLE, maîtresse et escalve, victime et bourreau, HOSANNAH, la terre s'incline sur son passage et de ses lèvres parfumées lèche les bords de son manteau, SAINTE, TROIS FOIS SAINTE, berceau de tous les nouveau-nés et ventre de toutes les morts, HOSANNAH ET GLOIRE À ELLE, le havre de tous les destins, le grand coeur qui bat, le commencement et la fin, l'horizon et la source, la souveraine du néant, la maîtresse du grand tout, HOSANNAH ET GLOIRE À ELLE, reine du temps et maîtresse des nuits, la seule et l'unique, HOSANNAH car l'horizon lui appartient, et vertigineux est son sein, profond et insondable, ET GLOIRE, GLOIRE, GLOIRE au plus haut des cieux car il n'est pas de ciel qui en Elle ne se reflète et ne se perde, et il n'est pas de terre qui à Elle ne se soumette, Elle l'invicible, Elle la soeur chérie de la lune, la mère attentionnée des douces marées, que devant Elle s'inclinent tous les hommes et qu'ils lancent vers Elle leurs chants de HOSANNAH ET GLOIRE car Elle est en eux, et en eux grandit, et ils vivent et meurent en Elle, Elle est pour eux le secret et le but de la vérité et la condamnation et le salut et la route unique vers l'éternité, et il en est ainsi, et il continuera d'en être ainsi, jusqu'à la fin des jours, qui sera la fin de la mer, si la mer doit finir, Elle, la Sainte, la Seule et l'Unique, l'Océan Mer, et que pour Elle on chante HOSANNAH ET GLOIRE jusqu'à la fin es siècles. AMEN.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen.
Amen."
Couverture :